1900 - 1939

1940 - 1944

1945 - 1949

1950 - 1970

BIBLIOGRAPHIE

  • El Rey de Canfranc
  • Canfranc 1943
  • El Oro de Canfranc

1900 - 1939

Rey Alfonso XIII
L'Inauguration de la gare de Canfranc par le roi Alfonso XIII

En 1853, un groupe de personnes, appartenant en majorité à la Société Economique Aragonaise des Amis du Pays, a proposé officiellement l'ouverture d'un passage pyrénéen central par Canfranc qui connecterait les deux versants de la chaîne de montagne par une voie ferrée. La demande a été formulée par un petit rapport intitulé Les Aragonais à la Nation Espagnole. Si l'idée a reçu un bon accueil en Espagne, la France était moins enthousiaste pour développer une nouvelle voie de communication transpyrénéenne du fait que deux projets, Hendaye-Irun et Cerbère-Portbou, étaient déjà en cours. Cependant, la position française change en 1885 alors qu'elle plaidait auparavant pour une connexion franco-espagnole à Lérida au niveau de la rivière Noguera Pallaresa. Dès lors, le projet de Canfranc pouvait voir le jour. Mais ce n'est que plus de quarante ans plus tard que la ligne est inaugurée. L'inauguration de la ligne Pau-Saragosse dans la gare internationale de Canfranc s'est déroulée le 18 juillet 1928 en présence du roi Alphonse XIII, du général Primo de Rivera et de Gaston Doumergue, président de la République française.

            Jusqu'à ce que le passage central devienne une réalité, les deux connexions ferroviaires qui unissaient la France et l'Espagne se trouvaient, comme aujourd'hui, aux deux extrémités de la chaîne pyrénéenne. La première entre Irun et Hendaye et la seconde entre Portbou et Cerbère. Ces deux lignes font elles aussi partie du projet RECURUT puisque c'est par elles qu'ont transités, en plus d'être les deux seules connexions ferroviaires entre les deux pays actives actuellement, d'importants flux migratoires d'origines variées.

 

            Les avalanches, les inondations et surtout, la Première Guerre mondiale ont retardé à plusieurs reprises les travaux de la ligne ferroviaire internationale. Cependant, dès son inauguration en 1928, la voie devient un passage frontalier des plus importants, tant pour les personnes que pour les marchandises. C'est réellement à partir des années 1930 et de l'établissement des douanes internationales dans la gare de Canfranc que le projet développé dans le petit village aragonais de Los Arañones peut voir le jour. La commune de Canfranc a vu sa morphologie complètement modifiée par le projet franco-espagnol car, en plus de la gare qui comptait déjà son propre hôtel, se sont construits différents édifices pour héberger le personnel, une église, une école et un hôpital.

Canfranc Estación

Dans les deux sens, personnes et marchandises ont transité en continu jusqu'à ce que la Guerre civile espagnole fasse fermer la ligne pour la première fois, en 1936. La documentation de la Compagnie des Chemins de Fer du Nord (Compañía de Caminos de Hierro del Norte) atteste, pour les premières années de services de la ligne, que ce sont des tonnes de minéraux tels que le charbon ou l'aluminium, des machines et du bétail qui sont passés par Canfranc. En plus de ces produits, les importations espagnoles ont vu transiter par Canfranc du ciment, du bois, du fer, de la chaux ou encore des œufs. Dans l'autre sens, la France a fait venir d'Espagne dans les premières années des tonnes d'oranges, de fruits et légumes et des milliers de litres de vin. En ce qui concerne les personnes, pour la seule année 1930, ce sont plus de 72 000 passagers qui ont empruntés la ligne dans les deux sens ; signe non-équivoque de l'importance de l'activité enregistrée par le passage frontalier deux ans à peine après son ouverture. Ces chiffres ont cependant diminué dans les années qui ont suivies. Si la crise économique mondiale et ses manifestations tardives en Europe en sont l'une des raisons principales, l'incendie malheureux de la gare en 1931 ou la politique de prix plus favorable pour les marchandises, proposée par la Compagnie du Nord à Irun, ont encore accentué la chute du trafic par Canfranc. Cette diminution du trafic se poursuit jusqu'à sa suspension totale du fait de la Guerre civile espagnole.

 

            Après le coup d'Etat du 18 juillet 1936, la comarque de la Jacétanie et, de fait, la vallée d'Aragon sont passées sous contrôle des insurgés nationalistes. L'armée rebelle qui occupait la gare de Canfranc a commencé à murer le tunnel qui connectait les deux versants pyrénéens dans le but d'empêcher une éventuelle pénétration de troupes ennemies venues de France. Le passage est ainsi resté fermé jusqu'à la fin de la Guerre civile espagnole en mars 1940. Bien qu'il n'y ait pas eu d'affrontements dans la région durant le conflit, plus de 400 civils ont été tués par la répression franquiste entre 1936 et 1941.

1940 - 1944

Entre 1940 et 1945, la ligne internationale Pau-Saragosse, et plus spécialement la gare et les douanes internationales de Canfranc ont vécu une période d'intense activité. Les destructions engendrées par le conflit espagnol dans les ports ferroviaires de Portbou et Irun, et les inondations qui ont touchées le passage catalan en 1940 ont augmenté de manière exponentielle le trafic de la percée centrale. Jusqu'à la création de la RENFE (Red Nacional de Ferrocarriles Españoles) en janvier 1942, plusieurs compagnies privées se partageaient le transport de personnes et de marchandises en Espagne. Parmi les plus remarquables, se trouvaient la Compagnie des Chemins de Fer du Nord, la MZA (Madrid-Zaragoza-Alicante) et la Compagnie des Chemins de Fer Andalous. La ligne Pau-Saragosse était gérée côté français, jusqu'à Canfranc, par la SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer Français). 

El oro de Canfranc

Comme le souligne le journaliste Ramón J. Campo dans L'or de Canfranc, entre 1940 et 1945, la gare internationale pyrénéenne recevait un train par jour en provenance de Valence et un autre en partance de Madrid. Ce dernier assurait la correspondance avec celui de Lisbonne. Ainsi, la capitale portugaise avait une connexion directe avec la France qui passait par Canfranc, et réciproquement. Durant la Deuxième Guerre mondiale, cette voie a été capitale dans l'évasion de France, par l'Espagne, de juifs persécutés, d'agents et de pilotes alliés, de résistants compromis qui désiraient rejoindre Lisbonne ou Algésiras en Andalousie. Mais ce ne sont pas seulement des fugitifs qui ont empruntés le passage de Canfranc durant ces cinq années ; des milliers de passagers, des tonnes de marchandises à destination du III Reich comme le fer et la wolframite, du vin et du blé en partance vers la France, ou encore l'or nazi provenant de Suisse sont aussi passés par la gare internationale. Cependant, cette intense activité s'est brusquement arrêtée avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En 1945, la douane est à nouveau close et la frontière franco-espagnole fermée. Cette situation perdure jusqu'en 1949 et a montré l'isolement national et international de l'Espagne durant cette période.

Oro nazi

Après être restées fermées presque trois ans à cause de la Guerre civile espagnole, les douanes internationales de Canfranc ont recommencé à fonctionner à partir de 1940, et ce, pendant toute la durée du deuxième conflit mondial. La période qui court de septembre 1939 à l'automne 1940 aurait été baptisée par l'écrivain et journaliste français Roland Dorgelès (la paternité du terme reste difficile à attribuer) comme la "drôle de guerre", comme une "fausse guerre", "une plaisanterie", "un mensonge", "une guerre étrange". C'est une période caractérisée par un calme rare sur le champ de bataille, uniquement troublé par les nouvelles en provenance de Norvège où le corps expéditionnaire franco-britannique affrontait les troupes hitlériennes pour le port de Narvik où transitait le fer suédois. Cependant, à l'aube du 10 mai 1940, le calme fait place à la tempête. Les divisions blindées de la Wehrmacht entrent aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en France. Six semaines plus tard, les forces françaises sont défaites et les quatre pays occupés selon différentes modalités.

Hitler en París
Hitler à Paris. 23 juin 1940

 

Une fois conquise par l'Allemagne nazie, la France a été divisée suite à l'armistice signée à Rethondes le 22 juin 1940. Une ligne de démarcation a alors séparé la France en deux entre la "zone occupée" et la "zone libre" aux mains du gouvernement collaborationniste, dirigé par le maréchal Pétain depuis Vichy. Les douanes internationales de Canfranc restaient encore sous contrôle français mais tout change à partir de novembre 1942 et de l'invasion de la zone libre par le III Reich en réponse à l'invasion alliée en Afrique du Nord. Les gendarmes français qui contrôlaient le passage frontalier -situé à 8 kilomètres de la frontière en territoire espagnol- ont alors été obligés de le laisser aux troupes allemandes. Ainsi, le paysage de Canfranc a changé au rythme des évènements internationaux dans une Espagne réfugiée entre une non-belligérance particulière et son engagement de neutralité constamment contesté, notamment à cause de Canfranc.

 

            Ce sont des milliers de tonnes de marchandises qui sont passées par les douanes pyrénéennes durant le conflit. Parmi elles, se trouvent quelques 86 tonnes d'or nazi en provenance de Suisse qui sont arrivées à Canfranc soit par la voie ferrée, soit par la route. Selon Ramón J. Campo, 12,1 tonnes de cet or sont arrivées à Madrid, le reste étant parti pour le Portugal. Depuis Canfranc, le reste du voyage était assuré par les camions du Syndicat Suisse des Transports en Camion en Espagne. En plus de l'or, à cette époque, ce sont aussi de grandes quantités de fer et de wolframite en provenance des mines espagnoles et portugaises qui ont transitées par Canfranc. Ces matériaux ont servi en partie, dans le cas espagnol, à rembourser la dette contracter par Franco et les rebelles auprès d'Hitler en échange de son aide durant la Guerre civile espagnole. La direction de ces opérations en Espagne a été assurée par la holding allemande Sofindus (Société Financière Industrielle).

Familia Vilanova
La famille Vilanova avec un camion suisse à Canfranc

Pendant des années cette histoire est restée sous silence, réduite à chaque fois aux maigres témoignages de ceux qui ont connus et qui ont participés à l'intense activité de la gare de Canfranc entre 1940 et 1945. Cependant, grâce à la documentation trouvée par Jonathan Diaz dans la gare même de Canfranc comprenant différents rapports internationaux, et grâce aux recherches sur Canfranc et le transit de l'or en Espagne, cette histoire est mieux connue depuis quelques années. Toutefois, comme le souligne Ramón J. Campo dans L'or de Canfranc, en comparant les données contenues dans les documents trouvés par Diaz avec les rapports élaborés par les services secrets nord-américains sur l'or sorti de Suisse par Bellegarde, il semble possible que le trafic d'or en provenance de Suisse ait été de l'ordre du double. Ce métal précieux a été transféré aussi bien en train qu'en camion vers la frontière espagnole, mais à partir de là, ce sont exclusivement des camions qui l'amenait à Madrid ou à Lisbonne. Face à ce double flux, l'estimation de la quantité d'or amené dans la péninsule à cette période augmente jusqu'à 254 tonnes, dont environ 185 se sont retrouvées en territoire portugais et 69 en Espagne. Il est important de souligner que, si Canfranc a concentré une bonne partie de ce trafic particulier de marchandises entre 1942 et 1943, seulement 45 % du total de l'or envoyé dans la péninsule a transité par la gare internationale. Les 55% restant sont entrés en Espagne par le passage frontalier d'Irun.

Les Marchandises

Documentos mercancías
Les documents trouvés par Diaz à Canfranc

En plus des chargements d'or, de fer et de wolframite recensés jusqu'ici, il s'agit de mettre en avant une série de cargaisons "particulières" qui ont traversées les Pyrénées par le passage de Canfranc entre 1942 et 1944. Ces mêmes colis apparaissent aussi dans les documents que Jonathan Diaz a trouvé dans la gare internationale pyrénéenne. Parmi le gros des marchandises qui a changé de pays par le passage de Canfranc pendant ces années, les dix tonnes de montres (mars et juillet 1943) et les 44 tonnes de matériel de guerre allemand acheminés au Portugal, une fois la France libérée, attirent particulièrement l'attention. Toutefois, à ces cargaisons qui se sont retrouvées en territoire portugais, il faut ajouter plus de 290 tonnes de matériel de cinéma reçues par l'Espagne en deux convois consécutifs en septembre 1942, ainsi que quatre tonnes d'opium arrivées au Portugal en 1943. Toujours par Canfranc, 11 tonnes de médicaments ont aussi transité. En ce qui concerne les exportations, en plus du fer et de la wolframite mentionnés précédemment, du zinc et différents produits alimentaires tels que les fruits et légumes en provenance d'Espagne ou le café, le vin et le cacao portugais ont aussi constitué un flux de sortie vers la France. 

L'évasion

HuidaFuir et survivre. Tel a été l'objectif de milliers de juifs menacés par le régime nazi qui, entre 1939 et 1944, ont tentés, et dans le meilleur des cas ont réussis, à abandonner l'Europe et sauver leur vie au-delà du vieux continent quand d'autres sont morts dans la tentative. A leurs côtés, des pilotes dont l'avion a été abattu, des agents secrets et des volontaires qui désiraient rejoindre les armées alliées en Afrique du Nord ou en Angleterre, ont réussi à fuir la France. Pour ce faire, différentes routes à travers les Pyrénées leur ont permis de rejoindre l'Espagne et, par la suite, d'atteindre les destinations de leur choix, soit par Lisbonne, soit par le détroit de Gibraltar. Certaines de ces routes sont rapprochées et font parties des itinéraires proposés par RECURUT. Il est nécessaire de souligner qu'il en existe une multitude dont certaines d'entres elles sont très bien documentées dans d'autres projets tels que Le Chemin de la Liberté, Persiguits i Salvats ou Rutes d'exili, ou par des experts en la matière comme l'historien Josep Calvet.

            A la recherche de la liberté, ce sont environ 80 000 personnes qui ont franchies la frontière franco-espagnole entre 1940 et 1945 pour fuir les persécutions nazis. Une bonne partie d'entres eux ont réalisé le passage avec l'aide de guides de montagne expérimentés ou de passeurs attachés aux différents réseaux d'évasion actifs dans les Pyrénées, défiant les difficultés propre à la montagne et la surveillance assidue des oppresseurs. Pour beaucoup de ces évadés, les Pyrénées ont été "Las montañas de la libertad", titre de l'œuvre de Josep Calvet dédiée précisément au passage des réfugiés par la chaîne des Pyrénées durant la Seconde Guerre mondiale. Canfranc fait partie des multiples passages frontaliers mentionnés par Calvet dans son ouvrage.

            La douane internationale et le train qui connectait quotidiennement Canfranc, par Saragosse, avec Madrid, fait que le passage pyrénéen était considéré comme une route privilégiée pour quitter la France. Cependant, fin 1942, Hitler décide d'envahir la totalité de l'Hexagone en réponse à l'intervention des forces alliées en Afrique du Nord. Cette mesure a apporté un important changement de juridiction suite auquel les gendarmes français, qui contrôlaient le poste frontière, ont été remplacés par les troupes allemandes de la Brigade des Chasseurs de montagne Bavarois et par des agents de la Gestapo, rendant le passage des Pyrénées de plus en plus difficile.

            Pour beaucoup,  Canfranc était le but. Mais pour y arriver, les voies empruntées par les milliers de réfugiés qui battaient en retraite étaient très variées. Jusqu'à ce que les forces allemandes occupent la douane internationale, la majorité des fugitifs essayait de traverser le passage frontalier directement avec le passeport à la main. Toutefois, après l'installation des troupes hitlériennes à Canfranc, l'unique alternative était de passer clandestinement en Espagne, en pleine montagne par le col du Somport, ou, par le tunnel ferroviaire du même nom. 

L'expérience du passage

Bien qu'en décembre 1932, le 339ème Commandement de la Guardia Civil basé à Jaca ait fait savoir aux agents frontaliers espagnols que les troupes allemandes ne permettaient plus aucun passage de la frontière, et ce, dans les deux sens, il est certain que les carabiniers espagnols ont activement collaboré avec les réfugiés européens qui tentaient de rejoindre Canfranc. L'un d'entres eux était Salvador Garcia Urieta.

            Salvador Garcia Urieta était un carabinier basé à Sallent de Gallego, dans la vallée de Tena, chargé de surveiller le poste frontière espagnol du Pourtalet. Après avoir traversé la moitié de l'Europe et perdu sa femme et son fils dans un bombardement allemand, un jeune pharmacien juif polonais est venu à sa rencontre. Sa destination finale était les Etats-Unis mais afin d'embarquer pour le "Nouveau Monde", il devait d'abord franchir les Pyrénées. Sur le versant français, un guide lui a montré le chemin depuis les gaves jusqu'à la frontière en passant par Artouste et le col de Sobe, en contrebas du pic du Midi d'Ossau. En le voyant arriver, Salvador lui a demandé ses papiers. Le fugitif lui a donné son passeport, mais depuis leur position, ils pouvaient tous les deux voir le poste frontière français occupé par les troupes allemandes qui dominait le col de Saint-Martin. Pensant que l'Espagnol le dénoncerait, sa réaction, telle que Salvador la relate, a été la suivante :

                                "Le polonais pleurait parce qu'il pensait que j'irai le remettre aux allemands. Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter, que je ne le ferai pas. Nous [les carabiniers] n'agissions jamais de la sorte. Notre mission était de télégraphier ou d'appeler, via la ligne militaire, à Huesca pour donner les noms et les raisons  pour lesquelles ils avaient traversé la frontière et attendre l'ordre de les renvoyer en France ou de les laisser passer. Si nous avions l'autorisation, nous les mettions dans le bus pour Huesca".[i]

                Cependant, après avoir écouté l'histoire du fugitif, Salvador n'a pas suivi le protocole et a décidé de le guider jusqu'aux douanes internationales de Canfranc situées à quatre heures de marche du Pourtalet. Depuis Sallent, tous deux se sont dirigés en direction des cascades de l'Anayet. Après avoir passé le peloton d'exécution d'où l'on apercevait Canfranc, l'Espagnol le laissa à un poste de carabiniers qui se trouvait dans le fond de la vallée. Là, il prit congé du Juif sans savoir s'il arriverait, ou non, à passer la douane et changer son sort. Qu'il ait réussi ou non ; du côté espagnol du poste frontière, le douanier Antonio Galtier a sûrement été amené à connaître, sans en être conscient, le sort de notre pharmacien juif. De part son poste de caissier des douanes espagnoles, Galtier est un témoin rare de la centaine de fugitifs qui ont tentés de franchir la frontière. Il se souvient avec précision de la manière dont les militaires allemands vérifiaient les papiers dans la salle d'attente de la partie française :

                        "Passeports, âges, métiers, provenances et destinations des familles et des individus. C'était impressionnant de voir ces scènes où les gens qui avaient traversés la moitié de l'Europe se voyaient presque libres en Espagne [...] Beaucoup ont été détenus [par la Gestapo], d'autres sautaient du train ou courraient sur les voies, dans le but d'échapper à la vigilance des allemands".

 



[i] CAMPO, Ramón J., El oro de Canfranc, Ibercaja Obra Social, Zaragoza, 2002.

 

MONSIEUR LE LAY

Né en Bretagne le 22 janvier 1899, Albert Le Lay arrive à Canfranc avec sa famille -sa femme Lucienne et ses trois enfants : Ivette, Jeannine et Georges- en 1940. Il prend alors en charge la douane française dans la gare internationale au moment de sa réouverture après qu'elle ait été fermée durant la Guerre civile espagnole. Aimé par les habitants de Canfranc, à l'origine de l'école française dans la commune, après avoir vu comment, en à peine un mois (mai - juin 1940) la France a succombé à la poussée de la Wehrmacht, en janvier 1941, Le Lay prend contact avec André Manuel -alias "Pallas"- Chef de la section de renseignement du Deuxième Bureau : service de renseignement de la France Libre dirigé par le général De Gaulle. Service qui devient, le 15 avril 1941, le Service de Renseignement (S.R.). Ce nom est maintenu jusqu'au 17 janvier 1942, pour changer de nouveau et devenir le Bureau Central de Renseignement et d'Action Militaire (B.C.R.A.M.), puis Bureau Central de Renseignement et d'Action (B.C.R.A.) au 1er septembre de la même année.

            Après avoir offert ses services et insisté pour être transféré à Londres, d'où il souhaitait être incorporé dans une unité de combat des Forces Françaises Libres (F.F.L.), Le Lay reçoit l'ordre, par André Manuel, de rester à son poste à la douane de Canfranc. Ce n'était pas en vain puisque Canfranc était un lieu stratégique où le breton avait l'opportunité de contribuer non-seulement à la Résistance avec une augmentation, mais aussi, de rendre possible l'évasion de France par l'Espagne de centaines de personnes persécutées et/ou menacées par le régime nazi et ses partenaires collaborationnistes.

            Pour commencer, Le Lay commence sa participation à la Résistance en travaillant secrètement pour le réseau PIC dirigé depuis Pau par l'odontologue Roche. Mais quelques mois plus tard, Le Lay, se sentant trop à l'étroit dans sa position, devient une pièce maîtresse d'un des plus importants réseaux de résistance alliée qui opérait alors sur le sol européen : le réseau Mithridate. Fondé en juin 1940 par Pierre Herbinger à la demande du MI6 -services secrets britanniques- Mithridate reste actif de sa création jusqu'en 1945, bien qu'il est certain qu'il n'ait pas été rattaché à la BCRA avant janvier 1942. Réseau de renseignement militaire chargé de fournir des informations aux états-majors alliés pour favoriser la planification et l'exécution des opérations militaires, Mithridate a compté plus de 1600 agents répartis en Belgique, en Italie et en France. En plus de ces pays, s'ajoute une position située à 8 kilomètres en territoire espagnol, les douanes françaises de la gare internationale de Canfranc. Cette position était le terrain d'opération d'Albert Le Lay qui a rejoint Mithridate en décembre 1941.

            Parmi les différentes actions menées par Le Lay dans "son territoire" pour PIC comme pour Mithridate, il faut souligner que le douanier français a rendu possible le passage par Canfranc d'une valise, à destination d'Oloron, contenant le premier émetteur radio. C'est ce dernier qui a permis la réception de nouvelles de Londres par la toute jeune Résistance de la région. Sans aucun doute, ses missions les plus importantes ont été celles qui ont permis de faire sortir des centaines d'agents secrets, de pilotes alliés et de fugitifs qui fuyaient la France occupée en facilitant, de diverses manières, la passage de la frontière par Canfranc. Dans un premier temps, ces activités n'ont pas attiré l'attention des troupes allemandes. La circulation de marchandises n'a donc pas été affectée jusqu'à ce que la supercherie soit dévoilée par les agents de la Gestapo détachés à Canfranc. Le Lay et sa famille ont été contraints de fuir à la fin du mois de septembre 1943.

Le LayLe douanier et sa famille ont réussi à se mettre à l'abri et sont revenus à Canfranc une  fois la guerre terminée. Cependant, en 1943, il restait encore deux années de guerre durant lesquelles le flux de fugitifs est resté actif, canalisé principalement par les passages en montagne voisins de la gare internationale. Pendant cette période, la plupart de ceux qui ont traversés la frontière l'ont fait avec l'aide de guides de montagne expérimentés et de passeurs qui connaissaient particulièrement bien le relief montagneux. Notre route RECURUT 3 coïncide, au moins en partie, avec des chemins empruntés par ces candidats à la liberté. Mais il faut garder à l'esprit que tous n'ont pas réussi. Sans surprise, en 1943, dans l'aire géographique espagnole par laquelle passe notre troisième route, les autorités espagnoles ont arrêté 84 personnes qui tentaient de passer la frontière par la Fuente de la Mina (Source de la Mine), 172 qui désiraient passer par le tunnel de Canfranc et 85 qui ont tentés leur chance par le col du Somport. Il y a aussi ceux, moins fortunés, qui sont décédés dans le vestibule du bâtiment des douanes françaises et dont les corps sont enterrés dans le cimetière de la commune. Ou encore, ceux qui ont été déportés après avoir été détenus par les troupes allemandes dans la gare internationale alors que la majorité des fugitifs détenus en Espagne étaient transférés à Jaca et internés dans la prison de la ville, dans le fort de Rapitán ou dans le camp de concentration, contrôlé par l'armée dans la ville de Huesca et démantelé en 1941.

            Comme le souligne Ramón J. Campo dans L'or de Canfranc, et malgré les données que Louis Poullenot relève dans son livre Basses-Pyrénées : Occupation, Libération. 1940-1945, il n'existe pas d'approximation fiable du nombre d'évadés par Canfranc grâce au travail de Le Lay et des passeurs. Cependant, l'ouvrage de Poullenot apporte un chiffre provisoire, fondé sur les archives personnelles du résistant palois Honoré Baradat, de plus de 1400 évadés par les douanes internationales et par le passage du Pourtalet de 1943 jusqu'à la libération du département.

1945-1949

A la fin du mois d'aout 1944, le Béarn est libéré grâce aux Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.) avec l'aide non-négligeable de guérilleros espagnols. La preuve de leur présence est donnée par l'historien français Jean Ortiz dans "La résistance espagnole en Béarn" dans le livre Les Espagnols et la guerre civile.[i] Parmi les actions menées par les F.F.I., il s'agit de souligner, pour la relation entretenue avec le tracé de notre route, un des premiers sabotages réalisé par les résistants sur la partie française de la ligne Pau - Saragosse. Comme le rappelle le résistant et membre des Francs-Tireurs Partisans Français (F.T.P.F.) Robert Félix, à la mi-juillet 1944, les F.F.I. "enlevèrent les vis de la voie et placèrent des explosifs dans un petit tunnel situé à un kilomètre du viaduc d'Escot". Comme résultat, un train de marchandises à destination de l'Allemagne a déraillé à environ 15 kilomètres de la bouche française du tunnel du Somport, utilisé, en aout de la même année, par les troupes allemandes basées en Espagne pour rejoindre Oloron.

            Cependant, le temps que le versant français soit libéré, les autorités franquistes ont augmenté leur zèle envers les actions de maquis par crainte d'une invasion des guérilleros présents dans les zones frontalières. Pour l'éviter, Franco a ordonné le blindage de la chaîne pyrénéenne. A cette fin, principalement entre 1941 et 1942, ce sont plus de 10 000 soldats qui ont été déployés dans ces régions. Et, s'il est certain que l'invasion s'est finalement produite en octobre 1944, localisée principalement dans le Val d'Aran, il n'en est pas moins sûr que la poussée de l'armée franquiste a obligé les effectifs de guérilleros, menés par le communiste Vicente López Tovar, à se retirer.

            Quoi qu'il en soit, il est certain que le processus de fortification de la chaîne pyrénéenne a gardé une relation particulière avec le passage frontalier de Canfranc. La guerre, de nouveau, a tout changé. La gare de Canfranc s'est convertie en caserne pour les centaines de militaires employés à la "défense nationale" et à murer le tunnel international. Les soldats dormaient dans les magasins de la gare puisque les installations militaires de Candanchú et du Coll de Ladrones étaient saturées. Ce sont eux qui encadraient le projet de fortification des Pyrénées -connu sous le nom de "Ligne P"- mis en place par Franco à la fin de la Guerre civile. Le projet prétendait blinder les 500 kilomètres de frontière qui s'étendent du Golfe de Biscaye jusqu'à Portbou par la construction de plus de 10 000 bunkers. Mais, en 1948 quand le projet s'est arrêté, moins de la moitié avait été construits. Manuel Esteban Bolea a participé au chantier de la Ligne P dans le secteur de la vallée de l'Aragon, principalement à Canfranc et ses alentours.

 



[i] PAPY, Michel, Les Espagnols et la guerre civile, Atlantica, Biarritz, 1999, pp. 384-412.

L'expérience de Manuel Esteban Bolea, soldat à Los Arañones

Né le 14 décembre 1924 à Calanda, Manuel Esteban Bolea quitte sa ville en tant qu'appelé le 1er mars 1944. Il arrive à Teruel où il reste six jours dans la caserne des recrues. Ensuite, il est envoyé à Saragosse où il est incorporé au 5° Régiment de sapeurs pompiers, basé sur la place Agustina d'Aragon, à côté des arènes. C'est là qu'il reçoit sa formation. Une fois terminée, il est envoyé à Los Arañones où quelques tables dans les hangars des trains font office de lit.

Ils m'ont envoyé dans mon bataillon à Canfranc. Nous étions 100 hommes dans mon bataillon. Un autre a été envoyé à Escarrilla, un autre ailleurs, et d'autres sont restés sur place, à Saragosse. [...] La première chose qui se faisait dans la fortification était... la venue du capitaine de la compagnie ou du lieutenant ou de quelque chose comme ça et il te marquait l'endroit où il fallait faire le nid, nous nous disions toujours que c'était le nid, maintenant ils appellent ça les colonies mais pour  nous ce sera toujours le nid. Et d'habitude ils nous le faisaient faire dans la roche, dans  la roche vive

Répartis en groupe de 100 hommes, ils utilisaient des maillets et une grande barre qu'ils tournaient quand ils donnaient le coup pour faire des trous ronds où était placée la dynamite. Quand la charge avait explosé, ils sortaient la pierre de l'excavation et d'autres soldats la réduisaient en poussière. C'est avec ça qu'ils faisaient le béton qui servait par la suite à réaliser le plafond du puits ou du nid. Pour soutenir ces travaux de construction, à même la gare s'est aménagée une menuiserie qui recevait les wagons de bois avec lesquels ils faisaient des étais galbés.

les coffrages se faisaient tous dans la gare de Canfranc, dans un hangar prévu à cet effet. Ils ont monté une menuiserie qui consistait à découper et à clouer des planches parce qu'ils ne rabotaient pas, ne meulaient pas ou quoi que ce soit, si une planche était presque parfaite, ils la clouaient... trois planches du numéro 2, 5, 14 ou 20 qu'ils amenaient ensuite avec des mules à un autre nid, puis à un autre nid. Si ça cassait ou si ça s'abimait, ils t'en amenaient une autre de la menuiserie

Selon le témoignage de Manuel, toujours sur le tracé de notre route RECURUT 3, l'activité à Rioseta pendant ces années a été frénétique. Ici, toujours d'après le témoignage de Manuel, les troupes franquistes ont construit un tunnel fortifié avec de petites ouvertures par lesquelles pouvaient entrer la troupe qui dominait le Tobazo, la Raca et une partie de la rivière Aragon. C'est là que Manuel a croisé, à l'été 1944, deux soldats allemands.

Je n'ai vu qu'une seule fois deux allemands qui passaient de la France à l'Espagne, et ils passaient par le canal de Rioseta. Là-bas, il y avait un poste de sentinelles, là-bas sur la route, c'était tard dans la nuit et quand ils s'en sont rendus compte : 'Halte-là ! Qui vive ? Halte-là ! Qui vive ?' Et les allemands n'ont pas répondu plus d'une chose, ils ont baragouiné quelque chose en espagnol : 'Espagne ou France ?' -la sentinelle a dit : 'Espagne' Mains en l'air... Je pense que s'ils avaient dit France ils se seraient échappés ou ils les auraient tués

Maquis et marchandises

Fin 1944, avec l'Hexagone libéré, le Gouvernement Provisoire de la République Française (G.P.R.F.) et l'Espagne franquiste ont rompu leurs relations diplomatiques qui ne se sont rétablies complètement qu'en 1949. Les frontières sont restées fermées des deux côtés. Du côté espagnol, des raisons de "sécurité nationale" ont été invoquées pour se protéger d'une éventuelle invasion étrangère. Du côté français, c'est la collaboration de Franco avec le régime nazi qui a été mise en avant. Pendant ces quatre années, l'intense activité qu'avait connue la vallée de l'Aragon, et, plus précisément le passage frontalier de Canfranc, a chuté de façon brutale. La ligne ferroviaire a été interrompue, et, avec elle, le transit de personnes et de marchandises.

            Selon Gérard de Clarens, chef du Secteur Central français, le dernier train en provenance de Pau est arrivé à Canfranc dans la nuit du 24 aout 1944. Il transportait 29 militaires allemands et leur équipement. Ce convoi a motivé la protestation officielle du G.P.R.F. bien qu'un an plus tard, en octobre 1945, deux délégations, française et espagnole, se sont réunies dans le but de débloquer la situation et de rouvrir le tunnel du Somport. Entrevue qui porte ses fruits un mois plus tard, en décembre de la même année. Afin d'éviter le trafic d'armes et de personnes, une zone de vigilance contrôlée par des troupes militaires a été mise en place de chaque côté. Si le trafic ferroviaire reprend début 1946, c'est uniquement pour les marchandises.

            Tandis que la ligne internationale reste fermée, les principales action de maquis de la vallée de l'Aragon se sont déroulées dans cette zone. Et ce, alors que les premières infiltrations de guérilleros sur le versant espagnol datent de 1943 et ont pour objectif de faire pression sur la population espagnole et de contacter les groupes de résistance locale. Il est certain que ces incursions se sont faites plus fréquentes à partir de 1944 et qu'elles ont atteint leur apogée, comme nous le savons, en octobre 1944 avec l'invasion du Val d'Aran.

            En plus de cette vallée, les guérilleros espagnols en ont pénétré bien d'autres. Parmi elles, la vallée de l'Aragon où a accédé, par le Paso de la Vieja, la Brigade B commandée par José Cortés. Toutefois, malgré l'échec de ces opérations de guérilla, loin de diminuer, la pression militaire dans les Pyrénées a au contraire augmenté. De fait, pour prévenir de nouvelles actions, en 1946 et 1947, le gouvernement franquiste a mis en place deux opérations de déploiement de troupes permanentes du Corps de l'Armée d'Aragon.

1950-1970

En 1949, les relations diplomatiques entre la France et l'Espagne se sont rétablies. Les frontières entre les deux pays se sont rouvertes ainsi que le trafic de la ligne ferroviaire Pau-Saragosse. Cependant, il est certain que dans les premières années les volumes en transit ont été beaucoup moins abondants, tant par la voie ferrée que par la route à travers le col du Somport reliant les deux pays. En effet, en se rappelant le contexte général de l'époque, les mouvements migratoires des années 1950 en Espagne convergent vers les grandes villes nationales et non vers les pays voisins, et ce, au détriment du monde rural qui avait déjà commençait sa "saignée" de population. Cependant, cet exode ne touche que progressivement Canfranc à partir des années 1940 (1340 habitants en 1940, 1103 en 1950, 1035 en 1960, 1007 en 1970). C'est à partir des années 1980 que la perte de population a été la plus importante, atteignant son minimum en 1991 avec une population de 486 habitants.

            En ce qui concerne les marchandises, durant toute la décennie 1950, la ligne ferroviaire internationale a profité de son deuxième âge d'or puisque c'est grâce à cette voie qu'une bonne partie des exportations de produits agricoles, surtout des agrumes en provenance de l'Est de l'Espagne, ont passé la frontière. Toutefois, le gel de plusieurs cargaisons dans les douanes internationales après y avoir été détenu plusieurs jours, la non-application à Canfranc des tarifs spéciaux d'Iberiatarif, le manque d'installation qui permettent de changer l'écartement des rails -installations que possédaient Irun et Portbou- ont provoqué une réduction drastique du trafic de marchandises à partir du début des années 1970. Cependant, à la fin de cette même décennie, spécialement entre 1966 et 1969, après la modernisation de la ligne avec les locomotives à moteur diesel, celle-ci a été relancée principalement grâce aux importations de tonnes de maïs qui entraient en Espagne par Canfranc. De fait, c'est un convoi français chargé de maïs qui a emprunté le ligne internationale pour la dernière fois.

            Dans la matinée du 27 mars 1970, entre Accous et Lescun, le train a commencé à glisser sur la voie gelée. Les systèmes d'urgence n'ont pas répondu et le train s'est mis à prendre de la vitesse en sens inverse à cause de la pente pour déraillé en contrebas, sur le pont de l'Estanguet. A peine à cinq kilomètres de Bedous, la voie ferrée internationale a vécu ses derniers moments alors qu'après deux guerres et plusieurs fermetures, elle a permis, autant que le col sous lequel elle se cache, de franchir la frontière entre deux pays, connectant les deux versants d'une chaîne de montagne traversée, entre 1930 et 1970, par des gens à destination de toute l'Europe.

Accidente de tren

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