Un poste de douane sur le pont international

Bien que la présence des postes de douane tende à diminuer avec l’ouverture des frontières, il reste un élément majeur des zones transfrontalières. Le territoire qui nous intéresse ici, l’espace transfrontalier Irun-Hendaye, ne fait pas exception. Dans les années 1920, sur la rive sud de la Bidassoa, les services de douanes érigent le poste visant à contrôler les passages entre les deux pays. La décision de construire ce poste de douane sur le pont international remonte à 1916[1]. Des travaux de rénovation sont lancés au début des années 1930 comme l’atteste une affiche émise par la municipalité d’Hendaye en date du 26 juillet 1931[2]. Il n’y a plus, aujourd’hui, de barrières ou de demande de passeport puisque le poste et ses douaniers ont été remplacés par le Centre d’interprétation de la Bidassoa, lieu d’information culturelle et touristique dont la gestion est assurée par le Consorcio Transfrontalier Bidasoa Txingudi en collaboration avec les associations Jacodi et Oroitza. Il n’était envisageable de contextualiser la première route du projet Recurut -Le Passage de la Bidassoa-  sans mettre en avant ce lieu emblématique et symbolique des flux migratoires entre nos deux pays. Les différents flux de population compris dans ce premier itinéraire s’attachent donc, à cette zone transfrontalière au bord de l’océan et aux Républicains espagnols fuyant la Guerre Civile, puis, à la Seconde Guerre mondiale et aux réseaux d'évasions actifs dans la zone, et, enfin, aux émigrations économiques et politiques des années 1950 à 1970.

 

1. L'arrivée des républicains Espagnols

            Si l’émigration des Espagnols vers la France, pour des raisons économiques essentiellement,  est attestée dès le XIXème siècle, jamais elle n’est aussi forte qu’au XXème. La colonie espagnole en France représente notamment le premier contingent d’étrangers présents sur le territoire français en 1939 avec l’arrivée massive des réfugiés de la Guerre civile[3]. Les évènements violents et la répression brutale des nationalistes conduisent de nombreux civils et militants républicains à fuir l’Espagne. Les flux de migrants, qui cherchent à fuir les violences, sont étroitement liés aux poussées et aux victoires nationalistes sur le territoire espagnol. Geneviève Dreyfus-Armand dénombre trois vagues successives de réfugiés qui correspondent à la conquête progressive de l’Espagne par les nationalistes. Les première et deuxième vagues, qui nous intéressent ici, équivalent à la prise du Pays Basque un mois après le début de la Guerre Civile, à l’été 1936, et, à la Campagne du Nord avec notamment la défaite de Bilbao en juin 1937 qui consacre la perte totale et définitive du Pays Basque. Ces deux échecs de l’armée républicaine conduisent environ 15 000 espagnols à rejoindre la France par Hendaye pour la première vague, et, ce sont plus de 120 000 personnes qui fuient l’Espagne pour la deuxième[4]. Ces vagues d’émigration sont soient spontanées, causées par une peur panique de cette guerre sans merci, soient organisées par les autorités républicaines soucieuses de placer les populations civiles à l’abri des hostilités. Les groupes

Les miliciens espagnols en france après l'incendie d'Irun. Septembre 1936.

humains amenés à se déplacer sont donc, dans un premiers temps, alors que les combats font rage, des civils qui fuient les violences de guerre. On y trouve essentiellement des femmes, enfants et vieillards venus chercher refuge en France. Le deuxième groupe de réfugiés, qui arrive après les défaites républicaines, est, pour sa majeure partie, composé de miliciens républicains. Ces miliciens, contrairement à la population civile, restent peu à Hendaye ou aux alentours, préférant rejoindre le front républicain encore en place en Catalogne. Ils cherchent donc à regagner l’Espagne républicaine, souvent par Perpignan où ils croisent les flux de civils qui fuient la guerre.          
           Pour les réfugiés civils, de plus en plus nombreux, amenés à rester sur le sol français, le gouvernement du Front Populaire mené par Léon Blum doit prendre des initiatives pour gérer ces nouveaux arrivants et leur octroyer un droit d’asile conforme à la « tradition » d’accueil de la France. Dans les premiers temps de cette émigration conduite par la guerre, le gouvernement français prend des mesures favorables à l’accueil des réfugiés espagnols. Cela se caractérise par la diffusion d’une vingtaine d’instructions ministérielles en leur faveur entre le début de la Guerre civile le 18 juillet 1936 et la fin de cette même année[5]. La plupart de ces instructions données aux préfets concernent les conditions humanitaires inhérentes à l’accueil des réfugiés. Par exemple, les arrivants sont autorisés à résider provisoirement dans le département d’arrivée, et, dans le cas où ils souhaitent retourner en Espagne, les réfugiés peuvent choisir le poste frontière qu’ils désirent afin de rejoindre leur pays. Ainsi, le choix leur est laissé de rejoindre l’Espagne aux mains des nationalistes en traversant la frontière par le département des Basses-Pyrénées, ou, par les Pyrénées-Orientales s’ils préfèrent atteindre l’Espagne républicaine. Cependant, avec l’arrivée de plus en plus nombreuse de migrants, et, en vertu du principe de non-intervention de la France dans la Guerre civile espagnole, le gouvernement du Front populaire amorce une politique plus restrictive marquée notamment par un contrôle et une surveillance accrus des frontières. Toutefois, malgré un durcissement de la politique d’accueil, l’Instruction générale sur l’hébergement des réfugiés espagnols de mai 1937 prône quand même « d’assurer, dans des conditions normales, l’hébergement des réfugiés espagnols qui sollicitent leur accueil sur le territoire français, de leur venir en aide par des moyens d’assistance appropriés et d’en assurer le contrôle sanitaire indispensable. » En revanche, pour les hommes en âge de combattre, aux hommes « d’âge militaire » entre 18 et 48 ans, une circulaire de juin 1917 les pousse à se rapatrier[6]. Ce n’est que plus d’un an après le début de la Guerre civile, le 27 novembre 1937, qu’une position claire est établie : « Seuls sont autorisés à résider en France les réfugiés qui possèdent des ressources suffisantes pour y demeurer sans occuper aucun emploi ou qui peuvent être recueillis par des personnes prenant l’engagement de subvenir à tous leurs besoins, exception faite toutefois pour les femmes, les enfants, les vieillards et les malades qui peuvent encore être hébergés aux frais des collectivités publiques. » Le droit d’asile est donc pratiqué tout en gardant l’objectif de limiter les entrées sur le territoire et d’inciter au rapatriement.

            L’opinion publique en Basses-Pyrénées vis-à-vis de l’arrivée des réfugiés républicains espagnols est partagée. D’une part les syndicats et partis de gauche affichent une solidarité sincère envers ces nouveaux arrivants victimes de l’oppression nationaliste ; solidarité qui se remarque notamment au travers de manifestations, de meetings de soutien et de collectes. Et, d’autre part, la droite modérée, bien qu’émue par le sort de ces hommes, se plaint de l’ « invasion » subie par la France. Par exemple, la Fédération départementale des contribuables des Basses-Pyrénées se plaint des frais engendrés par l’accueil des réfugiés. Les pécheurs aussi se plaignent de l’impact de l’arrivée de ces nouveaux travailleurs dans le département comme l’atteste cette affiche de 1938.

 

 

2. La Seconde Guerre mondiale et les réseaux d'évasions

"De 1940 à 1942, les passages en Espagne constituent l'une des activités dominante des Réseaux de renseignements et d'évasions dont la mission est de faciliter le franchissement des Pyrénées à tous ceux qui, pour des raisons diverses souhaitent quitter la France pour rejoindre, via l'Espagne, un pays neutre ou allié (Israélites pourchassés par les Allemands, résistants découverts et activement recherchés par la Gestapo, personnalités politiques, volontaires répondant à l'appel du Général De Gaulle, etc...). Précisons, à ce sujet, que l'Espagne, au lendemain de la Guerre civile qu'elle vient de subir, souhaite être considérée comme un pays neutre et/ou non belligérant."[7]

L'établissement de ces réseaux d'évasions est progressif et discret et se fait selon les directives fournies par les émissaires de Londres. Pour la seule région des Pyrénées-Atlantiques, Louis Pouillenot dénombre une quarantaine de réseaux. Souvent, les réseaux d'évasions se sont constitués sur les bases de réseaux de renseignements. Ils s'organisent de façon analogue. Constitués d'un ou de plusieurs postes émetteurs, d'un système d'acheminement du courrier qui nécessite le concours d'agents de liaison, leur mission essentielle et complémentaire est de rechercher et d'organiser des filières de passage en Espagne. Quand ces mêmes réseaux se spécialisent dans la seule activité de passage, ils deviennent des réseaux d'évasions. 

Bien que les risques de se faire attraper au passage de la frontière soient bien réels, en faisant preuve d'astuce, en prenant le maximum de précautions possibles et avec l'aide de complices, des groupes allant jusqu'à 20 ou 30 personnes ont réussi à fuir la domination allemande en rejoignant l'Espagne. Le plus souvent aidés par des passeurs ou autres guides complaisants, le pourcentage de réussite de ces groupes en partance pour un territoire neutre est très élevé comparé à celui des arrestations de convois par la Police Allemande. Selon une étude menée par Henri Baradat dans Pays Basque et Béarn sous la botte Allemande, ce sont des milliers de personne qui ont franchis la frontière dans ces conditions.

Avec la domination allemande qui se fait de plus en plus écrasante sur le territoire français, la surveillance de la zone frontière est revue considérablement à la hausse. Les douaniers français sont remplacés par des douaniers allemands dans tous les postes de contrôle et leur nombre ainsi que celui des patrouilles de surveillance sont considérablement augmentés. Le 18 février 1943, le Gouvernement de Vichy sur ordre du Commandement Allemand, crée tout au long de la frontière une zone "Réservée-Interdite" dans laquelle toute personne qui n'y réside pas ne peut y pénétrer sans être en possession d'un Ausweis (papier d'identité) dont l'obtention n'est pas aisée. A partir de ce moment, toute tentative de passage en Espagne ne peut se faire qu'avec l'aide d'un guide très qualifié. Il s'agit la plupart du temps de "techniciens de la montagne"[8], de locaux habitant la région transfrontalière, de contrebandiers basques ou de bergers qui sont tous familiarisés avec les itinéraires clandestins conduisant vers la liberté. Ce sont les passeurs.

Il existe deux catégories de candidats à l'évasion. Ceux qui sont déjà pris en charge par les réseaux de renseignement et d'évasion, et, ceux qui se lancent seul dans l'aventure. La deuxième catégorie de personne, qui comprend notamment les jeunes français réfractaires au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.), s'expose à de gros risques, soit de se faire attraper par la Police Allemande, soit, tout simplement de se perdre en montagne s'ils ne parviennent pas à trouver quelqu'un pour leur faire franchir la barrière des Pyrénées. Henri Baradat recense, pour la période, 256 arrestations de fugitifs opérées par la Police Allemande aux frontières basques et béarnaises[9].

Équipe complète du bombardier B-17 du groupe nº385, escadron nº549 de l'USAF basée en Grande Ashfield (GB) en 1943. Le troisième à gauche est, le lieutenant Jim Burch Frederick noyé dans la Bidassoa le 24 décembre 1943 avec le Belge, responsable du COMÈTE, Antoine d'Ursel, connu comme "Jacques Cartier"

JIMÉNEZ DE ABERASTURI, Juan Carlos, “La Red Comète   en el País Vasco: La frontera hacia la libertad”, Revista   Internacional de los Estudios Vascos, nº 56, 2, 2011, 520-­572.

Pour les passages en Espagne qui ont connus le succès, les réseaux d'évasions ont joué un rôle majeur dans leur réussite. On peut notamment citer la Confrérie Notre-Dame de Castille et son sous-réseau d'évasion connu sous le nom d' "Helhorga" qui a fait passer la frontière à des centaines d'aviateurs anglais et américains, à des officiers français, ainsi qu'à la sœur du Général De Gaulle et ses 5 enfants[10]. Mais, pour bien comprendre l'importance de ces réseaux d'évasions dans la région durant la Seconde Guerre mondiale, il s'agit de mettre en avant l'un des réseaux les plus actifs et les plus célèbres des Pyrénées-Atlantiques : le réseau Comète, spécialisé dans le passage d'aviateurs alliés.

Initié en Belgique dès le mois de juin 1940 par Andrée de Jongh, dessinatrice publicitaire surnommée "petit cyclone", et, Arnold Deppé, ingénieur qui a passé du temps à Saint-Jean-de-Luz, le réseau Comète est le premier réseau d'évasion du Pays Basque[11]. A partir de l'été 1940, les deux Belges organisent un réseau pour conduire les soldats recueillis en territoire occupé en Espagne. Un lien est établit avec un couple de Belges réfugiés à Anglet depuis 1939, Fernand et Elvire de Greef surnommée "Tante Go", pour structurer davantage la filière d'évasion. "Tante Go" développe le réseau autour de figures féminines qui attirent moins l'attention que leur comparse masculin. Ainsi, sont notamment impliqués dans la réception des aviateurs anglais à Bayonne, Yvonne et Robert Lapeyre, Marthe et Jean Dassié ainsi que leur fille Lucienne Dassié. Avec la participation active d'autres locaux engagés dans la Résistance et après qu'Andrée de Jongh a convaincu le consulat anglais de Bilbao de la viabilité de son projet,  le réseau est opérationnel pour les premiers passages un an après son lancement, en juillet 1941.

Dès lors, un réseau avec un mouvement sur 4 étages se met en place. Le premier, en Belgique et dans le Nord de la France, récupère les candidats au passage. Le deuxième, à Paris, assure leur acheminement vers le Sud-Ouest. Le troisième, au Pays-Basque, prépare et réalise le passage de la frontière, et, le quatrième et dernier étage, en Espagne, s'occupe de dissimuler les évadés en attendant leur prise en charge par les services diplomatiques alliés et loge occasionnellement des responsables Comète en mission[12].

Parmi les figures les plus connus du réseau Comète, Florentino Goicoechea est le passeur légendaire de la filiale d'évasion bien qu'il assure aussi cette fonction pour d'autre réseaux de la région. Né à Hernani en Espagne en 1898, réfugié à Ciboure après l'invasion franquiste du Pays Basque espagnol, il a notamment vécu de la contrebande entre la France et l'Espagne. Sa mission est d'accompagner de nuit, à pied, des groupes de fugitifs d'une petite dizaine de personnes de la ferme "Bidegain-Berri" à Urrugne jusqu'à

Membres du réseau COMÈTE. JIMÉNEZ DE ABERASTURI, Juan Carlos, “La Red Comète   en el País Vasco: La frontera hacia la libertad”, Revista   Internacional de los Estudios Vascos, nº 56, 2, 2011, 520-­572.

Oiartzun, aux portes de San-Sebastian. Après avoir passé 227 aviateurs alliés, principalement anglais, canadiens et américains, il est blessé en montagne et arrêté le 6 juillet 1944[13]. Un groupe de résistants locaux l'enlève à l'hôpital de Bayonne 20 jours plus tard. Florentino Goicoechea a utilisé le principal chemin d'évasion du réseau Comète, la "ligne Urrugne-Biriatou" qui 

part de la ferme "Bidegain-Berri" à Urrugne pour rejoindre les flans escarpés du Xodolkogaina dominant la Bidassoa. Ensuite, après avoir passé le col de Osin et celui des Poiriers, la descente vers le fleuve est abritée par la forêt de Biriatou qui mène à la Bidassoa. La traversée du fleuve, quand ce dernier n'est pas trop capricieux, s'effectue à proximité de la ferme Lizarlan. Dans les cas où le courant est trop fort, un passage plus à découvert est envisageable au niveau de la centrale électrique d'Endarlaza où il existait un pont suspendu au-dessus du fleuve. Une fois la Bidassoa franchie, les fugitifs et leur guide n'avait plus qu'à rejoindre les services diplomatiques alliés en territoire espagnol.

Avec l'arrestation d'Andrée de Jongh le 15 janvier 1943 et le démantèlement d'une partie du réseau au début de cette même année, les membres restant cherchent à établir de nouvelles voies vers l'Espagne. Celles-ci seront établies plus à l'Est, ancrées plus profondément dans la montagne basque.

 

3. Emigrations économiques des années 1950-1970

 

Les travailleurs espagnols

Suite à la Seconde Guerre mondiale, à l'énorme perte en capital humain et aux réparations colossales qui en découlent, la France en reconstruction se trouve face à un besoin de main d'œuvre sans précédant. Afin de combler ce manque, et suite à la création de l'Office National de l'Immigration le 2 novembre 1945, un premier plan visant à recruter 1 million de travailleurs étrangers est mis en place de 1947 à 1950. Mais, ce premier plan ne comptabilise que peu d'Espagnols jusqu'à l'installation de l'O.N.I. en Espagne à partir de 1956. La faible présence des espagnols dans les recensements de l'O.N.I. s'explique notamment par la rupture des liens diplomatiques entre les gouvernements français et espagnol de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'en 1949 ainsi que par une préférence des espagnols pour l'immigration vers les pays d'Amérique latine jusqu'à la fin des années 1950. Pour la période, un rapport de l'O.N.I. note un : "effort sur le recrutement en Italie et ne comptabilise que par hasard les espagnols qui tombent dans les filets de l'administration des services départementaux de la Main-d'œuvre"[14].

Afin de pallier aux lourdes pertes engendrées par le second conflit mondial (plus d'un millions de personnes disparues), la relance de l'économie passe par un recrutement massif de main d'œuvre. Pour ce faire, l'O.N.I. installe ses locaux à Barcelone en 1956, puis à Irun, le 1er avril 1957. Cependant, face à une demande croissante et à un nombre de migrant très élevé, les locaux d'Irun se révèle rapidement insuffisant pour traiter le nombre d'arrivant. Afin de résoudre ce problème, l'O.N.I. fait construire en 1964 un édifice dont la capacité d'accueil s'élève à 1000 travailleurs par jour. Si l'O.N.I. assure la prise en charge administrative des travailleurs en provenance de la péninsule ibérique, rien n'est encore en place pour les accueillir dans des conditions décentes à leur arrivée. Pour répondre à ce besoin sanitaire, l'Institut Espagnol d'Emigration ouvre, juste à côté des locaux de l'O.N.I., une Maison de l'Emigrant dont le but est d'offrir les services de première nécessitée avec une salle de repos, une salle de restauration ainsi que quelques chambres[15]

Centre d'accueil pour migrants. "Edificio de asistencia al emigrante". 1967

Bien que l'O.N.I. ait reçu, en principe, le monopole du recrutement, sa Mission en Espagne ne peut espérer absorber le flux de migrants clandestins présent depuis des décennies. Dans un premier temps, ses objectifs sont de continuer et d' améliorer ce qui a été réalisé par les consulats en matière de procédure nominative ; la procédure qui concerne les ouvriers déjà connus de leur patron, soient qu'ils aient déjà été employé par ce dernier, soient qu'ils aient été recommandés par de la famille ou des amis. Ensuite, dans un second temps et dans le but d'accroître les recrutements, l'O.N.I. met en place une procédure dite anonyme, qui vise à centraliser les offres d'emploi et à rechercher des travailleurs non connus des employeurs. Pour cette deuxième procédure, la participation active des autorités espagnoles est indispensable. Non-seulement puisqu'elle permet le bon fonctionnement de la procédure anonyme, mais surtout, car elle permet de planifier, du côté espagnol, les recrutements dans le but de résorber le chômage des territoires les plus touchées, et, de réduire les départs clandestins de main-d'œuvre qualifiée dans les régions où elle est le plus utile à l'économie.

Sont concernés par les contrats nominatifs, uniquement les travailleurs espagnols qui ont déjà effectués une ou plusieurs campagnes, ou, qui ont déjà remplis un contrat à titre anonyme. Dans le cas où le contrat nominatif est demandé pour la première fois, les conditions font que le travailleur doit au moins avoir un parent, au maximum au troisième degré, qui travaille chez l'employeur ou dans la région. En ce qui concerne les contrats anonymes, l'Office National de l'Immigration fournit les travailleurs aux employeurs. La procédure se doit d'être rapide pour ne pas encourager les candidats à l'émigration d'emprunter les voies clandestines. Dans cet objectif, l'O.N.I. dispose de pouvoir étendus et collabore avec l'Insituto Español de la Emigración créé en 1960. A partir de 1961, toutes les demandes de travailleurs fournies par l'O.N.I. doivent passer par l'I.E.E. Cependant, malgré les efforts de simplification de part et d'autre de la frontière, le délais d'attente moyen entre la formulation de la demande et sa satisfaction reste de 2 ou 3 mois. Le recours à la main-d'œuvre clandestine, disponible immédiatement, continue donc de prospérer[16].

 

L'immigration portugaise en France

Les flux migratoires entre le Portugal et la France ont une longue histoire puisque, dès le XVIème siècle et l'inquisition dans la péninsule ibérique, l'Aquitaine reçoit les juifs qui fuient les persécutions dans leur pays. Durant la Première Guerre mondiale, ce sont 55 170 militaires portugais qui participent, aux côtés des alliés, aux combats contre les Allemands. Certains d'entre eux s'installent en France et font venir leur famille, certains se marient avec des françaises. Suite au premier conflit mondial et aux réparations qui en découlent, la France fait venir en masse des travailleurs pour les besoin de la reconstruction. Ainsi, entre 1916 et 1932, de nombreux travailleurs portugais rejoignent la France. Leur nombre est estimé à 15 000 en 1917, 29 000 en 1926 et 50 000 en 1931. Cette population, qui entre en France par l'Aquitaine, travaille principalement dans l'agriculture, le bâtiment, le port de Bordeaux, l'industrie, ou encore la forêt des Landes... L'immigration qui nous intéresse ici débute réellement à partir de 1957. Entre 1960 et 1990, c'est un "exode massif du monde rural portugais"[17] qui a conduit plus de 1,5 millions de personnes -18% de la population totale et 47,5% de la population active- sur les routes. Ces migrants ont pour objectif principal de fuir la misère, d'échapper à la domination et à l'exploitation des grands propriétaires terriens qui sont les principaux appuis de la dictature de Salazar, et, enfin, d'éviter les conséquences sur leur sol des guerres coloniales (Angola, Mozambique, Guinée Bissau...). De fait, entre 1964 et 1973, soit presque une décennie, ce sont environ 78 500 Portugais qui franchissent la frontière franco-espagnole chaque année. Une majorité de ces personnes, environ 55%, entre en France dans la clandestinité mais avec le consentement des autorités françaises.

A partir des années 1960, la France devient la première terre d'accueil pour les immigrés Portugais et leur famille. La croissance de cette population sur le territoire français est très rapide. De 70 000 en 1962, la colonie portugaise atteint presque le million de personne moins de 10 ans plus tard, en 1970. Ce sont environ 350 Portugais qui arrivent en France chaque jour entre 1969 et 1972, si bien qu'au début de l'année 1970, ils sont devenus la première et la plus importante communauté étrangère en France. A l'heure actuelle, la communauté lusitanienne en Aquitaine est estimée à 40 000 individus.

Pour Marie-Christine Volovitch-Tavares, la gare d'Hendaye est un des plus importants lieu de mémoire de l'histoire des immigrants portugais en France. Ils y arrivent bien évidemment en train, mais aussi en camion, en bus, en taxi, ou même à pied. C'est depuis cette gare qu'ils repartent vers d'autres régions françaises ou vers d'autres pays d'Europe comme le Luxembourg, l'Allemagne, ou la Belgique[18]. A partir de la seconde moitié des années 1960, l'immigration portugaise est telle que le gouvernement français se voit contraint d'ouvrir des antennes des ministères de l'Intérieur et du Travail à Hendaye. Ces antennes ont pour objectifs de donner des récépissés aux arrivants afin de régulariser leur situation et leur proposer des offres d'emploi. En parallèle, un centre d'accueil humanitaire, surtout pour les femmes et les enfants, s'ouvre au sein de la gare.

Pour les années 1956 à 1975, les Portugais en France peuvent être divisés en 3 groupes différents aussi bien socialement que par leur nombre : les artistes, écrivains et savants, les exilés politiques, et les travailleurs. Ce dernier groupe est 15 fois plus nombreux pour la période qui nous intéresse que pour l'entre-deux-guerres. De plus, toujours pour cette même période, l'immigration clandestine devient presque la règle puisqu'en 1969 et 1970, sur les 120 000 Portugais arrivés en France tout au long de ces deux années, environ 90% ont été régularisés une fois sur le sol français[19]. Néanmoins, si le passage de la frontière de façon clandestine s'est presque généralisé, il n'en reste pas moins dangereux comme l'atteste un article de 1973 paru dans le journal conservateur ABC. L'article affirme qu'en 1972, 130 immigrants clandestins, dont 80 portugais, se sont noyés en réalisant un "tragique saut au-dessus de la Bidassoa"[20].

Toutefois, le gouvernement français affiche une politique paradoxale à l'égard des immigrés portugais. D'une part il souhaite et favorise leur venue, notamment par les mesures de régularisation faciles, mais, d'autre part, presqu'aucune politique d'accueil adaptée n'est mise en place. "Ainsi, des milliers d'immigrants portugais pourtant "désirables" apprirent "se dérouiller" presque seuls."[21]

 

 

 

 

 



[1] Registre aux délibérations du Conseil Municipal d’Hendaye daté du 7 aout 1916. Archives Départementales des Pyrénées Atlantiques - Pôle de Bayonne.

[2] Archives Départementales des Pyrénées Atlantiques - Pôle de Bayonne.

[3] Geneviève Dreyfus-Armand, L’exil des républicains espagnols en France, De la guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, p. 9.

[4] Ibid., p. 34

[5] Ibid., p.36

[6] Ibid., p. 38

[7] Louis POUILLENOT, Basse-Pyrénées. Occupation Libération. 1940-1945, J&D Editions, Biarritz, 1995, p.122.

[8] Ibid.

[9] Henri Baradat, Pays Basque et Béarn sous la botte Allemande, déportations, internements, fusillades,  La République de Pyrénées, 1969.

[10] Basses-Pyrénées, Occupation Libération 1940-1945,  p.73.

[11] Mixel Esteban, Regards sur la Seconde Guerre mondiale en Pays Basque, Elkarlanean S.L., Donostia, 2007.

[12] ONAC 64, "Comète", Un réseau d'évasion au Pays Basque. 1941-1944.

[13] Ibid.

[14] Jean Hazera, Dix années d'immigration espagnole en France. 1957-1967, Thèse complémentaire de doctorat, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Bordeaux, 1968.

[15] Ibid., p.25-26.

[16] Ibid., p.30

[17] Manuel Dias Vaz (Dir.), La communauté silencieuse, Mémoires de l'immigration portugaise vers la France, Elytis, Bordeaux, 2014.

[18] Ibid., p. 27

[19] Ibid., p. 41

[20] Victor Pereira et Roberto Ceamanos Lloren (Dir.), Migrations et exils entre l'Espagne et la France. Regards de puis l'Aquitaine et l'Aragon, Editions Cairn, Pau, 2015, p.140.

[21] Manuel Dias Vaz, Op. Cit., p.43.

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